Le jeu vidéo et le cinéma entretiennent depuis plusieurs décennies une histoire d’amour tumultueuse. Tandis que le premier emprunte de plus en plus à l’esthétique cinématographique, le second s’entête vainement à adapter des œuvres ludiques sur grand écran pour des résultats approximatifs. Si ces médias se confondent régulièrement, ce n’est pas un hasard ! C’est parce qu’ils ont suivi un parcours, une évolution très similaire. Retour sur le destin lié de ces deux pôles majeurs du divertissement.
Deux attractions technologiques
Le flux historique est flou et très incertain. Difficile de déterminer précisément le point de départ d’une époque donnée. Mais pour structurer tout ça, il faut faire des choix. Ainsi, même si des expérimentations ont précédé,on estime que l’histoire du cinéma débute au 28 décembre 1895. C’est à cette date que les frères Lumière effectuent leur première diffusion publique et payante du cinématographe à Paris dans le salon indien du Grand Café. A l’époque, les deux inventeurs n’ont aucune ambition artistique. Ce sont des industriels qui s’assument en tant que tels. Ils considèrent leur création comme une simple attraction technologique destinée à divertir les gens, à leur proposer des sensations inédites et dépaysantes. C’est pour cela que les films Lumière sont longtemps diffusés dans les fêtes foraines !
L’objectif est clair : faire de l’argent. Ce statut “d’attraction foraine”, de simple “divertissement technologique” est important car il rapproche ce média du jeux vidéo, qui, par sa nature informatique, est également né comme un loisir technologique avant de s’affirmer peu à peu comme quelque chose de plus profond capable de développer sa propre identité.
La naissance du jeux vidéo quant à elle peut être datée à 1958. C’est cette année que le scientifique William
Higinbotham crée le premier divertissement ludique de l’histoire à l’occasion des portes ouvertes du Laboratoire Nationale de Brookhaven. Intitulé sobrement “Tennis For Two” l’oeuvre se présente comme un jeu de tennis qui oppose deux joueurs. Sur l’écran, le court de tennis est représenté de profil par une ligne horizontale faisant office de sol, et une toute petite ligne verticale au milieu de cette dernière matérialise le filet. La balle, de forme circulaire, est un peu plus petite qu’un pixel. Les participants se renvoient la sphère grâce à des boutons rotatifs ronds. Le tout tourne sur oscilloscope, un appareil de mesure scientifique permettant de visualiser les variations d’une tension. Le jeu vidéo est donc intimement lié aux sciences et à la technologie tout comme le cinéma. Cependant, celui qu’on nomme désormais le septième art est parvenu à s’affranchir de sa condition d’attraction pour affirmer sa légitimité artistique et intellectuelle tandis que le jeux vidéo à plus de mal à s’émanciper de son image réductrice et archaïque de loisir pour enfant. Mais comment cela se fait il qu’il y ait de telles différences de considération entre les deux ?
Des différentes technologies
Le cinéma a 123 ans tandis tandis que son acolyte, le jeu vidéo, n’en a que 60. Ce dernier à donc eu moitié moins de temps pour mûrir et s’imposer. Et les progrès réalisés au cours de ce court laps de temps sont déjà fulgurants. L’une des principales barrières du média pour s’imposer comme plus qu’un divertissement enfantin réside dans son essence technologique. Là ou le cinéma est un art visuel, le jeu vidéo est un art interactif. A ce titre, il est tributaire des évolutions technologiques. Sans elles, il ne dispose pas des ressources nécessaires à exprimer une histoire, un message. Difficile en effet de susciter des émotions, de transmettre des sentiments puissants avec les graphismes primaires des tout premiers temps du jeu vidéo. Et a vrai dire, la technique était tellement peu avancée qu’on ne pensait tout simplement pas au début à développer des histoires sur ce support. Néanmoins, depuis l’explosion numérique et le développement rapide de technologies de pointe, notre média interactif dispose de ressources suffisantes pour simuler le réel avec crédibilité et ainsi approfondir sa mise en scène et créer des aventures plus vibrantes de réalisme donc plus immersive et plus touchantes.
Bien entendu, la qualité graphique n’est pas l’unique élément qui permettent de véhiculer des sensations aux spectateurs. Des jeux 2D en pixel art y arrivent très bien, mais un rendu convaincant aide tout de même beaucoup à rendre les choses crédibles, à emporter le spectateur dans un univers défini et donc à le concerner. L’autre problématique à laquelle s’est confronté le jeu vidéo concerne son coté désincarné dans le sens ou, avant que la motion capture ne se développe, le jeu vidéo avait du mal à représenter des humains de manière crédible. Notamment durant les premières années d’existence du média. Et les messages, les valeurs qui se dégagent des récits communs sont intimement liées à l’humain.Les aventures traditionnelles mettent en scène des personnages. Il y a donc la nécessité d’avoir un visage une personnalité pour exprimer ce que l’on souhaite, pour raconter son histoire. Sans cet élément indispensable, difficile de construire une narration. Du fait de ces limitations on a pas immédiatement pensé à proposer des histoires consistantes dans le jeu vidéo. De ce fait, les bornes d’arcade de types Pac-man, Donkey Kong et autres proposaient de simple divertissements, de simples attractions.
Un problème auquel le cinéma s’est moins confronté car il s’agit d’une technologie visuelle qui capture dès ses débuts des formes humaines avec notamment le premier film des frères Lumière “Sortie des usines Lumière” qui montre des ouvriers quittant leur lieu de travail. La représentation visuel d’activités humaine entraînes irrémédiablement de la mise en scène. Ce film court, malgré son apparence authentique, documentaire n’est pas pris au dépourvu. Il n’a pas grand chose d’authentique contrairement aux apparences. Tout a été orchestré. Les ouvriers sont par exemple habillés en costumes chics. Une chose improbable car personne ne va travailler en usine endimanché. Très vite les histoires se sont développées. On a peu à peu ajouter des éléments de mise en scène, des scénaris. On a progressivement gagné en consistance grâce à des génies tels que le prestidigitateur Mélies qui a été un des premiers à raconter de véritables récits grace au cinéma avec des oeuvres telles que “Le Voyage Dans La Lune”. Tout cela a bien aidé le septième art à trouver sa légitimité et à être considéré comme plus qu’une attraction technologique. Le paradoxe c’est que Mélies a contribué à enrichir artistiquement le média alors que lui même le considérait comme une simple attraction, comme un divertissement dont il se servait uniquement pour agrémenter ses tours de magie afin de les rendre plus sensationnels. Au fil du temps, au travers de multiples moyens, le cinéma est parvenu à la reconnaissance. Un chemin que les jeux vidéo emprunteront peut être un jour. Mais ce chemin justement quel est-il ? Qu’est ce qui à permis au cinéma de s’affirmer ainsi ?
Une recherche de légitimité artistique
Très vite le cinéma s’est développé sous diverses formes et a tenté, au grès d’expérimentations variées, à s’émanciper de son image d’attraction pour atteindre un statut plus noble. Dès 1908 Paul Laffite fonde la société du “Filme d’art” afin de développer une vision plus intellectuelle du cinéma. Avec l’aide de La Comédie Française la société réalise diverses reproductions cinématographiques mettant en scène des pièces de théâtres connues ainsi que diverses histoires mythologiques à l’écran. Un programme prestigieux qui a pour but d’attirer des spectateurs plus bourgeois, pour promouvoir une vision plus intellectuelle du septième art. On essai de s’affranchir de l’attraction pure vendue par les frères Lumière. Un premier pas fait dans le sens de la reconnaissance artistique.
Dans le jeu vidéo ce sont beaucoup les jeux vulgairement appelés “Walking simulator” tels que What Remains of Edith Finch ainsi que les oeuvres de “cinéma interactif” tels que Heavy Rain, Detroit: Become human de Quantic Dream ou encore Life is Strange du studio Dontnod qui se font les porte- étendard de nouvelles manières de jouer. Le studio français Quantic Dream est d’ailleurs le fer de lance de cette tendance qui vise à proposer des histoires plus profondes, troublantes et immersives qui font passer de multiples émotions, d’innombrables messages au fil d’histoires aussi trépidantes que tortueuses. Ces deux genres de jeux attirent de nouveaux spectateurs en simplifiant les mécaniques de jeu pour privilégier l’immersion, stimuler l’affect du spectateur. On a donc des oeuvres plus intellectuelles qui proposent des choses audacieuses qui poussent à réfléchir. Ces production permettent à des non initiés de découvrir le jeu vidéo de manière intense en terme d’émotion. Ces genres, entre autres, tendent à légitimer l’aspect artistique du jeu video tout en lui apportant un supplément d’âme, de profondeur. Et ce n’est pas parce que je cite ces genres majeurs qu’il faut négliger des productions telles que The Last Of Us ou les inclassables Journey et The Last Guardian et les innombrables perles indés qui, à leur manière, créent l’émotion au travers de propositions poétiques ou par leur traitement mature de la narration.
Malheureusement le développement du jeu comme “game as a service” vient quelque peu contrecarrer ces évolutions en entérinant son image de simple attraction ludique. Le fait que la production suive des modes diffusant le jeu en ligne au gré de hypes fait baisser la qualité intrinsèque des jeux. Dans des productions telles que For Honor, League Of Legends, Rainbow six siège, Fornite et autres Battle-royal, point de message, juste un jeu qui se “périmera” une fois la mode passée, une fois son jus épuisé, pressé à sec. La consistance idéologique et narratif des jeux cède sa place au divertissement marketing qui a pour but de garder le joueur dans le jeu pour engranger de l’argent sans soucis de contenu qualitatif, inventif ou consistant. Ces titres ne sont pas a proscrire bien entendu car ils font partie à part entière de notre média mais leur prolifération intense et démesurée nuit quelque peu à la création ludique et a l’image du jeu vidéo, poussant les développeurs a s’installer dans un nid douillet de facilité et d’idées préconçues.
Les théoriciens au secours de la reconnaissance artistique
La réputation d’un média ne dépend pas exclusivement des créateurs qui oeuvre à son développement. Une grande partie est déterminée par les théoriciens qui consacrent leur vie à problématiser leur art de prédilection pour dégager son essence, le comprendre et le faire évoluer. Une étude aussi sérieuse permet également de mettre en avant les aspects les plus intellectuels et profond du domaine étudié. En France, la revue Les Cahiers du Cinéma a beaucoup apporté au média. En décortiquant chacun de ses aspects ils ont réussi à le faire évoluer, provoquant des courants tels que la Nouvelle Vague, redéfinissant des règles cinématographiques établies depuis des décennies. Mais leur érudition sur le septième art leur a également permis de développer de multiples théories et d’analyser en profondeur les films, chose qui donne à ces derniers un crédit créatif et réflexif sérieux. Des rédacteurs tels que André Bazin, célèbre théoricien du cinéma, ont transcendé l’image de leur média par leurs écrits. Au travers de son livre Qu’est-ce que le cinéma, le rédacteur des “Cahiers” développe des questions sur les films leur sens profond. Il cherche leur raison d’être, il veut les comprendre. Chose qui permet de mettre en avant la richesse et la complexité du contenu d’un film et de rendre sa valeur plus noble aux yeux du public qui voits es lanternes éclairées par un initié au regard aiguisé qui comprend les moindres métaphores visuelles qui avaient échappées aux spectateurs de base.
Dans le jeu vidéo ce sont des revues telles que The Game et JV le mag ainsi que des sites tels que Gamekult qui font ce travail de théorisation grâce à leur traitement particulier de l’actu. Chacun à sa manière parvient à démontrer que les jeu vidéo n’est pas une vulgaire attraction pour adolescents reclus. Ils analysent d’avantage le fond que la forme pour expliquer les valeurs et les messages que transmettent les oeuvres numériques que nous apprécions tant. Ils s’attachent également à écrire à propos de l’histoire du jeu vidéo. Ils interrogent son passé questionnent ses évolutions et essaient de donner des pistes à propos de son futur. Leur travail analytique de qualité est un gain conséquent pour sur le chemin de la reconnaissance artistique du jeu vidéo.
Jeu vidéo et cinéma suivent donc un destin similaire. Si notre média ludique continue à se développer et corrige ses quelques tares il pourrait bien embrasser un jour le statut d’art que bon nombre de joueurs réclament. Et pourquoi pas après tout ?
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